Contraint d’utiliser un prénom d’emprunt pendant deux décennies pour conserver son emploi, un salarié vient d’obtenir gain de cause devant la justice. Une affaire qui met en lumière une discrimination persistante liée à l’origine dans le monde professionnel français, malgré les engagements affichés des entreprises.
Lorsque Mohamed A. rejoint son entreprise au début des années 2000, il ne s’attend pas à devoir abandonner son identité pour conserver un emploi. Sitôt recruté, son supérieur lui impose l’usage du prénom « Antoine ». Aucun justificatif formel ne lui est fourni, mais le salarié comprend rapidement que son prénom à consonance maghrébine était jugé peu compatible avec les fonctions commerciales qu’il allait exercer.
Lors d’un entretien d’embauche, chaque détail compte, même du sel ou du poivre posé sur la table. On vous explique en quoi ça consiste, et comment le réussir.
Lire l'articlePendant plus de 20 ans, il assume ses missions sous cette identité imposée. Les badges, cartes de visite et documents internes portent tous le nom d’Antoine. Le succès ne manque pas : distinctions professionnelles, objectifs atteints, reconnaissance interne… mais jamais sous son véritable nom. Même ses bulletins de salaire affichent son vrai prénom, ainsi que son faux prénom.
Mohamed A. n’a jamais oublié ce qu’il considérait comme une humiliation. Il a archivé soigneusement tous les éléments prouvant cette substitution de prénom : fiches de paie mentionnant les deux prénoms, documents professionnels, badges, etc. Autant de pièces qui viendront étayer son dossier plus tard devant la justice.
En 2017, il quitte son poste. Un an plus tard, avec l’aide d’une avocate engagée dans la lutte contre le racisme, il lance une action en justice contre son employeur. L’entreprise, acquise depuis 2010 par un groupe suédois, minimise les faits et insinue que le changement de prénom aurait pu venir du salarié lui-même.
La première tentative devant les Prud’hommes se solde par un rejet en 2022. Cependant, Mohamed ne renonce pas. Il fait appel. Début 2025, la cour d’appel tranche en sa faveur. La juridiction reconnaît que la discrimination était établie, et que l’entreprise n’a pas apporté la preuve que le changement de prénom résultait d’une demande du salarié.
Les juges soulignent que les preuves matérielles sont nombreuses et incontestables, et qu’il n’y a pas lieu de déclarer la prescription des faits. Cette reconnaissance judiciaire constitue une étape rare mais importante pour les victimes de discriminations similaires, souvent confrontées à la difficulté de faire valoir leurs droits a posteriori.
La cour condamne son ex-employeur à verser 30 000 euros à Mohamed A. au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la violation de sa vie privée. Si l’entreprise ne fait aucun commentaire sur cette décision, sa maison mère déclare simplement rester « fermement engagée à favoriser un environnement inclusif et respectueux ».
Cette affaire illustre le décalage entre les discours corporate et la réalité vécue par certains salariés. L’imposition d’un prénom « occidental » pour faciliter l’intégration professionnelle demeure une forme de violence symbolique, traduisant des réflexes discriminatoires encore trop présents dans le monde de l’entreprise.